Dossier «L'Affaire du RER D» — Le Monde | ![]() | ![]() |
Marie L . se trouvait-elle réellement en gare de Garges-Sarcelles, vendredi 9 juillet vers 10 heures, au moment où, selon ses dépositions, six individus ont fait tomber sa poussette de la rame et se sont enfuis après l'avoir agressée pendant son trajet ? Les enquêteurs de la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de Versailles en doutent. Ils s'efforcent, depuis trois jours, de vérifier chaque point de sa plainte, déposée vendredi après-midi au commissariat d'Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis.
Des incohérences sont en effet apparues, et les enquêteurs se heurtent à une difficulté : malgré l'appel à témoin lancé dimanche et l'immense émotion suscitée par cette agression, présentée par la victime comme antisémite, aucun passager de la rame du RER D où elle se serait produite ne s'est manifesté. En outre, les policiers disposent de plusieurs éléments renforçant leurs interrogations, après, notamment, les cinq plaintes déposées par la victime entre 1999 et 2003.
La jeune femme dit être montée dans le RER à la station Louvres (Val-d'Oise), en direction de Paris, avec sa fille âgée de 13 mois. Six individus seraient alors descendus de l'étage supérieur du train, auraient fouillé son sac à dos puis, découvrant sa carte d'identité où figurait son ancienne adresse dans le 16e arrondissement de Paris, auraient affirmé que seuls des juifs habitent ces quartiers. Ils l'auraient alors agressée, en l'éraflant au couteau et lui déchirant ses vêtements, avant de dessiner des croix gammées sur son ventre et de lui couper une mèche de cheveux. Ils se seraient enfuis en gare de Garges-Sarcelles, en faisant tomber la poussette. Le récit de Marie L. est conforté par les deux certificats médicaux établis vendredi, après l'agression, l'un dans une clinique privée, l'autre dans une unité médico-judiciaire.
Trois éléments incitent pourtant les policiers à la méfiance. La jeune femme a indiqué qu'elle s'était adressée à un guichetier, qui lui aurait conseillé de porter plainte au commissariat. Or aucun des guichetiers interrogés par la DRPJ ne se souvient d'elle. En outre, les caméras de surveillance installées sur les quais ne montrent ni le groupe des agresseurs ni leur victime avec une poussette. Enfin, la jeune femme a expliqué qu'elle avait appelé son compagnon de la gare de Sarcelles afin qu'il vienne la chercher. Or les investigations policières ont établi que l'appel a été passé de la gare de Louvres.
VÊTEMENTS DÉCHIRÉS
Son compagnon, Christophe S., un menuisier de 25 ans, a confirmé la version de la jeune femme. Mais les policiers disposent d'un autre témoignage, celui d'un voyageur, qui affirme avoir vu la jeune femme avec ses vêtements déchirés à Louvres. C'est dans cette gare que devraient se concentrer les investigations pour déterminer si Marie L. a pu y être agressée.
L'absence de témoins intrigue les policiers. "Il est stupéfiant d'imaginer une agression aussi longue, près de treize minutes, devant une vingtaine de témoins, sans que personne n'intervienne, n'appelle sur son portable ou ne tire la sonnette d'alarme", s'interroge un haut responsable policier. Le couple qui serait venu en aide à la jeune mère après l'agression n'a pas donné signe de vie. Pas plus que le jeune homme assis à proximité de la scène, selon le récit fait lundi par Marie L. à Nicole Guedj, secrétaire d'Etat aux droits des victimes. Les agents de la police des transports et de la gendarmerie, qui ont circulé lundi sur la ligne D pour interroger les passagers à l'heure de l'agression, sont revenus bredouilles. En revanche, une proche de Marie L. a expliqué aux policiers, lundi, qu'elle avait l'habitude de "raconter des histoires", selon une source proche de l'enquête. Deux jours avant les faits, la fille de ce témoin avait détaillé à Marie L. les détails d'une agression antisémite survenue quelques semaines auparavant.
Les enquêteurs de la DRPJ de Versailles disposent d'un autre élément intriguant : les cinq plaintes déposées par la jeune femme depuis 1999 - la plupart pour agression et vol - dont aucune n'a abouti. La dernière remonte au 26 janvier 2003 et a été déposée au commissariat de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne). La jeune femme, alors enceinte de six mois, avait affirmé avoir été victime d'une tentative de viol. Après avoir rendu visite à un ami dans cette commune, elle s'était dirigée vers sa voiture lorsqu'un groupe de quatre hommes l'aurait agressé. En plein jour, sans que personne ne réagisse. Après les faits, une dame lui aurait demandé si elle allait bien.
Le SRPJ de Créteil avait été saisi trois jours plus tard. Ses investigations ont duré neuf mois et n'ont rien donné. Première difficulté : le portable que la jeune femme avait donné aux enquêteurs avait sonné dans le vide pendant deux jours. Son domicile, dans le 16e arrondissement, était introuvable. Elle avait ensuite expliqué qu'elle ne pouvait reconnaître ni ses agresseurs, ni leur voiture.
Rapidement, les enquêteurs s'étaient posés des questions sur la crédibilité de la victime. Elle s'était présentée comme cadre supérieur à Nanterre (Hauts-de-Seine). Sa mère avait démenti. Elle avait affirmé posséder des voitures haut de gamme, Audi et Mercedes. "Non, j'en suis certaine", a expliqué sa mère, avant d'ajouter, "j'ai déjà remarqué que ma fille avait tendance à raconter des histoires." Marie L. a été suivie par périodes par un psychologue.
Piotr Smolar